19 de agosto de 2021
L’atelier d’écriture interculturel : un dispositif d’accompagnement pour favoriser le passage à l’écriture du français chez l’adulte allophone débutant
Autora: Marta Cecilia Cano Franco
Université Grenoble Alpes (UGA), Langage, Lettres, Arts du Spectacle, Information et Communication (LLASIC) – Sciences du Langage et Français langue étrangère (FLE)
Mémoire de Master 2 Didactique des Langues – 3FE – Formation de Formateurs en Français Écrit
Année Universitaire 2017-2018 – https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-01835029
Cet article rend compte de l’expérimentation d’un atelier d’écriture interculturel ayant pour but de favoriser le passage à l’écriture du français chez l’adulte allophone débutant en France. Même si cette étude se déroule dans ce pays, elle peut contribuer aux enseignants de langues étrangères en Colombie pour améliorer toute approche didactique visant l’enseignement d’une langue autre que la maternelle.
En France, la représentation sociale de l’insuffisance scripturale entraîne une inégalité dans les rapports sociaux et positionne l’adulte allophone, qui ne maîtrise pas suffisamment la langue française écrite, dans une situation de manque par rapport à ceux qui la maîtrisent. Cette représentation d’inégalité s’insère inconsciemment et implacablement dans le sujet-personne et dans la représentation de soi. Comment faire pour que l’adulte allophone parvienne à identifier dans sa propre trajectoire scripturale les compétences déjà présentes, susceptibles de servir de levier dans le passage à l’écriture du français ? En quoi l’atelier d’écriture interculturel favorise-t-il le passage à l’écriture de l’adulte allophone dans la langue française ? L’atelier d’écriture interculturel peut devenir un levier pour transformer les représentations à l’origine de blocages et d’insécurité scripturale chez l’adulte allophone au moment de passer à l’écriture.
Les ateliers se déroulent à l’Association des Villes Françaises (AVF), à Meylan-Grésivaudan, France. Ils accueillent des nouveaux arrivants allophones à travers une formation en écriture du Français Langue Étrangère (FLE) pour débutants, lors de dix séances d’ateliers d’écriture entre le 18 janvier et le 29 mars 2018. Les participants sont six femmes adultes, plurilingues et originaires de l’Amérique du Sud, de l’Amérique du Nord, d’Europe et d’Asie. Agées de 35 à 56 ans, elles sont mariées et avec des enfants. Ce public s’inscrire comme public lecteur-scripteur (lettré), même en plusieurs langues. De ce fait, il faut penser que ce public fait face à une contradiction : la moyenne d’âge se situe dans la quarantaine, à mi-chemin d’un parcours de vie. Que peut ressentir une personne sachant qu’elle doit s’arrêter, faire demi-tour, et retourner à « la case départ » pour réapprendre à écrire dans une langue autre que la sienne, pour s’intégrer dans la société d’accueil et pour correspondre aux normes que cette société lui impose? D’où l’importance de l’andragogie (l’art de la formation des adultes).
Le dispositif est conçu à partir d’un double volet. Le premier vise à fournir à l’adulte allophone quelques outils linguistiques de base pour le satisfaire du côté pragmatique tout en lui montrant que l’écriture peut devenir une expérience individuelle de rencontre avec soi et avec autrui. Un deuxième volet vise une dimension interculturelle. Néanmoins, c’est cette deuxième dimension qui est mise en exergue et qui est utilisée comme élément déclencheur des ateliers pour que la dimension linguistique ne devienne pas « l’objet » d’apprentissage. De cette manière, l’apprenant découvre qu’il existe différents chemins pour aborder l’apprentissage d’une langue et va déplacer ses représentations vers d’autres dimensions.
Les balises de l’atelier d’écriture interculturel cherchent à ouvrir un espace d’écriture libre et créative pour mettre le public à l’aise. Le corpus de l’étude est constitué des outils pédagogiques adaptés aux adultes : grâce aux procédures d’évaluation des besoins, l’enseignant/animateur peut concevoir l’atelier avec un équilibre entre les objectifs de l’association, ceux de l’animateur et ceux des participants (Núñez et Téllez, 2009, p. 177). Dans l’optique de concevoir un dispositif centré sur la personne, je conçois les ateliers de façon à faire émerger d’abord le sujet (les émotions et les ressentis) et ensuite la cognition (la structure formelle de la langue). Les ateliers permettent aux participantes d’utiliser leurs langues maternelles. La langue maternelle est déjà un acquis et devient un tremplin pour accéder à la langue d’accueil. En tant que tremplin, elle octroie au participant l’opportunité de mettre en relation les deux langues : l’alternance de langues favorise l’enseignement/apprentissage (Mathis, 2014).
De plus, « Il ne s’agit plus seulement d’enseigner la langue et la culture, mais aussi de sensibiliser l’apprenant aux similitudes et différences entre sa culture et celle de la langue étrangère […], aux implicites culturels qui conditionnent la communication dans une communauté linguistique donnée. […] » (Robert, 2009, p. 102). Ces implicites ne sont visibles que quand on rentre en contact avec l’autre. « Dialoguer est donc apprendre la rencontre (et non apprendre la culture de l’autre) » (p. 103). De ce fait, je recours à l’établissement d’un lien entre le pôle maternel (langue/culture maternelle) et la langue/culture d’insertion. Face aux ruptures de la migration, l’atelier d’écriture privilégie l’intégration et la réconciliation de deux langues et deux cultures puisqu’il existe une différence qu’il faut concilier pour aider les nouveaux arrivants à reconstruire leurs représentations de la langue écrite, en mettant pour l’instant la structure entre parenthèses pour la retrouver ensuite.
Pour établir des ponts et relier les différences, l’art joue un rôle majeur. L’art sert de déclencheur permanent dans le dispositif proposé. Cyrulnik (2018) affirme que dans l’art, on trouve le « plaisir de la découverte et d’apprendre »[1]. L’art, par sa signification universelle, permet de rassembler la diversité et d’inciter à la rencontre de ce qui est différent, et sert à « établir un rapport à la langue et à l’apprentissage, en oubliant le caractère étranger de cette langue » (Dompmartin-Normand et Le Groinec, 2015, p. 62). L’art, en tant que dimension humaine qui touche les sens, permet de faire appel à l’être humain sans distinction. Les ateliers utilisent des extraits vidéo, des images et des chansons en images pour faire appel aux sens. Mais c’est l’utilisation des calligrammes, en tant que récit de soi, qui a opéré comme outil de déblocage et comme tremplin pour surmonter des difficultés textuelles (Niwese, 2012).
Le dispositif favorise l’apprentissage, la reconnaissance d’autrui et l’acceptation de soi. Il devient un terrain pour inviter les participants à prendre du recul concernant leur propre bagage linguistique et culturel afin de pouvoir se reconstruire et se transformer individuellement et socialement pour s’adapter à la réalité : le monde évolue à une telle vitesse que c’est seulement dans l’adaptation au changement que l’être humain peut survivre (Attali, 2015). L’atelier se constitue comme un espace de transformation sociale et personnelle permettant à l’adulte allophone de déplacer ses représentations de l’écrit, de prendre conscience de ses propres ressources scripturales dans sa langue maternelle et, enfin, d’oser prendre le risque de passer à l’écriture du français. L’atelier d’écriture est normalement prévu pour des personnes ayant déjà une certaine maîtrise de la langue comme outil pédagogique une fois les normes linguistiques des bases acquises et aide au développement de l’expression écrite. Pourtant, j’ai opté pour une approche différente qui privilégie l’initiative et la créativité individuelle des débutants pour faire le passage à l’écriture. Les apprenant accèdent en douceur aux représentations et ressentis, vis-à-vis de leur propre culture, de l’intégration, de l’appropriation des langues et de l’altérité. L’enseignant devient un médiateur culturel (Cohen-Emerique, 2004), un amphibie culturel (Mockus, 1994), un passeur d’écriture (Frier, 2015), introduisant une didactique de l’empathie (Cyrulnik, 2018) auprès des adultes allophones en situation de mobilité.
Si l’enseignant parvient à gagner la confiance des apprenants dès le début, c’est la passerelle qui s’étend vers l’apprentissage. Je rejoins Frier (1997), qui pointe elle aussi la nécessité de cette confiance comme condition préalable à toute forme d’apprentissage :
[…] il faut […] commencer à accepter toutes les lectures du monde, à l’intérieur et hors du champ de l’écrit. Nous vivons une époque moderne…mais n’oublions pas cependant comme le rappelle avec tant de poésie Pennac en (1992) que “Le verbe lire ne supporte pas l’impératif. Aversion qu’il partage avec quelques autres : le verbe ” aimer “…le verbe ” rêver “… ” ». (p. 52)
Dans des établissements scolaires privés et publics en Colombie, et pour des raisons imposées par des conditions géopolitiques, l’étude de l’anglais devient impérative. L’étudiant n’a pas le choix : l’anglais lui est imposé. On se retrouve donc face à une situation de domination linguistique qui est à l’origine des rapports de domination – cette double domination linguistique et culturelle où l’anglais apparait comme une langue qui bénéficie d’un statut privilégié et d’une représentation sociale fortement valorisée –. N’avoir pas des connaissances en anglais suppose une pénalisation, un frein et un handicap social.
En conséquence, des nouvelles approches didactiques doivent se mettre en place privilégiant des conditions pour que les apprenants se sentent accompagnés et non jugés. L’enseignant doit leur fais comprendre qu’ils sont bienvenus, même avec ses erreurs. On guide : on ne corrige pas. L’évaluation n’a pas été considérée comme une priorité. L’atelier ne vise pas la performance. Il cherche à débloquer l’apprenant, à lui redonner confiance et à susciter l’expression de soi pour ouvrir l’espace de cognition et d’apprentissage. Finalement, l’atelier d’écriture interculturel pour débutants favorise la prise de conscience par les participantes de leurs propres capacités leur permettant de prendre en main leur apprentissage, leur autonomie, leur vie. Cette prise de conscience opère comme source de liberté levant l’insécurité et l’autocensure intériorisée, tout en valorisant leurs acquis et ouvrant l’accès vers d’autres dimensions, une sorte de métamorphose grâce à l’écriture.
Références bibliographiques
Attali, J. (2015). Une brève histoire de l’avenir. Librairie Arthème Fayard.
Cohen-Emerique, M. (2004). Positionnement et compétences spécifiques des médiateurs. Hommes et Migrations, (1249), 36-52. Disponible en ligne : http://www.persee.fr/doc/homig_1142-852x_2004_num_1249_1_4178 [consulté le 08/04/2018].
Dompmartin-Normand, C., & Le Groignec, A. (2015). Un atelier d’écriture créative en FLE.
Tissages et apprentissages plurilingues. Éducations et sociétés plurilingues, 38,
59-71. Disponible en ligne : http://journals.openedition.org/esp/539 [consulté le
03/04/2018].
Frier, C., & Chartier, A. (2015). Ecriture créative et construction de connaissances à l’université. Dans : F. Boch, & C. Frier. Écrire dans l’enseignement supérieur. Des apports de la recherche aux outils pédagogiques (pp. 151-210). ELLUG.
Frier, C. (1997). Portraits d’illettrés : au-delà des discours, quel message pour quelle société ? Dans : C. Barré-De Miniac & B. Lété (Dir.). L’illetrisme. Paris-Bruxelles : De Boeck & Larcier, 37-52.
Mathis, N. (2013). Identités plurilingues et création textuelle en français langue étrangère : une
approche sociolinguistique d’ateliers d’écriture plurielle. (Thèse de doctorat).
Accessible par Hal Archives ouvertes (HAL Id: tel-00967502). Disponible en ligne :
https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00967502
Mockus, A. (1994). Anfibios culturales, moral y productividad. Revista colombiana de
psicología, (3), 125-135. Disponible en ligne : file:///C:/Users/canob/Documents/GRENOBLE/MÉMOIRE/Bibliographie%20France/Médiation/Anfibios%20culturales.pdf [consulté le 08/04/2018].
Niwese, L. (2012). Balises pour un atelier d’écriture adapté à un public adulte en difficulté. Lidil,
(45), 13-137. Disponible en ligne : http://journals.openedition.org/lidil/3199 [consulté le
12/05/2018].
Núñez, A., & Téllez, M. (2009). ELT materials: The key to fostering effective teaching and
learning settings. Profile, 11(2), 171-186.
[1] Rencontre-conférence 6 mars 2018 à Grenoble, Centre Œcuménique, Saint Marc, 6 Avenue Malherbe